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En Haïti, la culture prise en otage par les gangs : « L’espace de création se rétrécit chaque jour »

« On va essayer de trouver un arbre », propose Yanick Lahens en arrivant dans le jardin du centre culturel Brésil-Haïti, à Pétion-Ville, commune de la banlieue de Port-au-Prince. L’écrivaine a rendez-vous avec des dirigeants d’une des plus importantes associations culturelles de l’île, Araka, pour parler de l’activité des prochaines semaines. Elle est la marraine, depuis une décennie, de leur club de lecture, Signet.
La lauréate du prix Femina en 2014 pour son roman Bain de lune (Sabine Wespieser) fait disposer des chaises en cercle, à l’ombre d’un manguier. Au milieu d’une végétation exubérante, peuplée de sculptures d’oiseaux fantastiques, la conversation ne tarde pas à aborder le sujet de préoccupation majeur des citadins : la violence des gangs, qui contrôlent 80 % de la capitale.
« Port-au-Prince est devenue inhabitable », se désole l’autrice de 70 ans, ce matin de juillet. La situation sécuritaire s’est détériorée en début d’année, lorsque plusieurs bandes rivales ont uni leurs forces afin de faire tomber le gouvernement. « Pétion-Ville n’a jamais été attaquée, mais on a eu chaud. On entendait les tirs », souffle Yanick Lahens. Depuis mai, la vague de violence a légèrement reflué. « Je suis venue à pied ! », se réjouit la romancière. Il y a quelques mois, elle n’aurait pas osé marcher dans les rues de sa ville. A Port-au-Prince, le centre culturel Araka, situé aux abords des quartiers réputés difficiles de Grand Ravine et de Village de Dieu, a été vandalisé en mars et est resté inaccessible depuis. « Quand un centre culturel disparaît, c’est toujours tragique », soupire l’écrivaine.
Les nombreux ateliers proposés par l’association bénéficiaient avant tout aux habitants paupérisés des quartiers du bas de la ville. « Araka est une oasis dans le désert, explique Roberto Déjean, vice-coordinateur du centre culturel. On a aidé des jeunes à s’en sortir, comme Jean D’Amérique : c’est dans nos ateliers qu’il a pris goût à la lecture et à l’écriture. » Ce poète et dramaturge de 29 ans, désormais installé en France, a reçu le prix Heredia de l’Académie française en 2022, pour son ouvrage Rhapsodie rouge (Cheyne). Yanick Lahens acquiesce : « De telles activités permettent aux gens de se détourner de la violence. »
A l’instar d’Araka, d’autres locaux associatifs dévolus à la culture dans l’agglomération de Port-au-Prince ont été contraints de fermer leurs portes ou de réduire leur activité en raison de la violence : la prestigieuse Fondation Connaissance et Liberté (Fokal), qui soutient des organisations des arts et de la culture, fonctionne en télétravail. Le centre culturel Anne-Marie Morisset, créé par les écrivains Lyonel et Évelyne Trouillot, la médiathèque Kay Mizik La et tant d’autres sont à l’arrêt.
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